9
A genoux dans un canot d’aluminium, Pitt règle le poste de télévision. Steiger est à l’avant et il se bat avec les avirons. Dans un second bateau, à une demi-douzaine de mètres devant, Giordino disparaît derrière une pile d’émetteurs et de batteries. Tout en ramant, il surveille de l’œil un câble qui plonge dans l’eau. A l’autre extrémité du câble pend une caméra de T.V. dans un caisson étanche.
— Réveillez-moi pour le grand film d’épouvanté, lance Giordino en bâillant.
— Continuez à ramer, grogne Steiger. Je commence à gagner sur vous.
Pitt ne prend pas part à leurs plaisanteries. Son regard ne quitte pas l’écran. Une brise vespérale et froide descend des montagnes et agite la surface glacée du lac. Giordino et Steiger peinent pour maintenir les embarcations à distance régulière.
Depuis le petit matin, les seuls objets qui se sont présentés devant la caméra n’étaient que des amas de rocs à demi enfouis dans la vase, les restes pourrissants d’arbres morts depuis longtemps et dont les branches nues semblent vouloir saisir l’appareil qui passe, et quelques truites arc-en-ciel effarouchées qui s’écartent prudemment.
— N’aurait-il pas été plus facile de conduire les recherches avec du matériel individuel de plongée ? demande Steiger en troublant l’examen de Pitt.
— La T.V. est bien plus efficace, répond ce dernier en frottant ses yeux fatigués. Par ailleurs, le lac descend par endroit à plus de 60 mètres. Le temps laissé à un plongeur à cette profondeur n’est que de quelques minutes. Ajoutez à cela qu’à 15 mètres de la surface l’eau atteint presque son point de congélation, et vous avez un environnement plutôt inconfortable. Je ne connais pas d’hommes dont le corps pourrait supporter ce froid plus d’une dizaine de minutes.
— Et si nous découvrons quelque chose ?
— Alors je passerai une combinaison de plongée et je sauterai par-dessus bord pour aller jeter un coup d’œil, mais je ne me mettrai à l’eau qu’à la dernière minute.
Quelque chose se présente sur l’écran, et Pitt se penche pour voir de plus près en se protégeant de la lumière du jour sous un voile noir.
— Il me semble que nous venons de trouver une image du film d’épouvanté qu’attendait Giordino, dit-il.
— Qu’est-ce que c’est ? demande Steiger très intéressé.
— On dirait une vieille cabane de rondins.
— Une cabane de rondins ?
— Voyez vous-même.
Steiger se penche sur l’épaule de Pitt pour interroger l’écran. La caméra, à 45 mètres au-dessous de la surface, leur transmet à travers l’eau glaciale l’image de quelque chose qui ressemble en effet à une construction informe. Les rayons du soleil déformés par le clapotis de l’eau et la faible visibilité à cette profondeur s’allient pour lui donner un aspect fantomatique.
— Comment diable cette baraque a-t-elle pu venir là ? demande Steiger stupéfait.
— Ce n’est pas un grand mystère, explique Pitt. Le lac est artificiel. En 1945, les autorités du Colorado ont endigué la rivière qui traversait la vallée. Une ancienne scierie qui se trouvait au bord a été submergée par les eaux. La cabane que nous voyons devait être un dortoir.
Giordino est revenu pour voir, lui aussi.
— Il ne manque que la pancarte « A vendre », dit-il.
— Elle est remarquablement conservée en tout cas, remarque Steiger.
— Cela tient à la température glaciale de l’eau, répond Pitt. Voilà donc pour les attractions touristiques régionales. Si nous continuions ?
— Ça va durer longtemps ? demande Giordino. Je prendrais volontiers un peu de nourriture liquide et, de préférence, du genre que l’on trouve dans une bonne bouteille.
— Il fera nuit dans une heure ou deux, fait observer Steiger. Je propose que nous levions la séance.
— Je vote comme vous, répond Giordino, puis il se tourne vers Pitt : Qu’en dites-vous, Captain Bligh (Le capitaine Bligh était le fameux commandant du Bounty dont l’équipage, lassé de sa sévérité, s’était mutiné) ? Je repêche la caméra ?
— Non, laisse-la tremper. On la traînera jusqu’à l’embarcadère.
Giordino prend un virage malaisé et commence à ramer vers le rivage.
— Il me semble que votre théorie a fait long feu, dit Steiger. Nous sommes passés deux fois par le centre du lac et tout ce que nous en avons tiré, ce sont des courbatures et la vue d’une cabane en ruine. Il faut vous faire une raison, Pitt : il n’y a rien d’intéressant dans ce lac à part du poisson. (Steiger s’arrête et indique le matériel de télévision.) Et puisque nous parlons du petit monde des profondeurs… qu’est-ce qu’un pêcheur ne donnerait pas pour disposer d’un attirail comme ça !
Pitt regarde Steiger d’un air songeur.
— Al ! lance-t-il, va donc du côté du vieux qui est en train de pêcher de la rive.
Giordino se retourne pour noter la direction indiquée par Pitt. Il fait signe sans rien dire et modifie son cap. Steiger suit le mouvement.
En quelques minutes, les bateaux arrivent à portée de voix d’un vénérable pêcheur qui lance habilement sa ligne près d’un gros rocher qui sort du lac. Il lève les yeux et soulève son chapeau festonné de mouches en réponse au salut de Pitt.
— Alors, ça mord ?
— Voilà qui est original ! murmure Steiger.
— Ils boudent un peu aujourd’hui, répond le pêcheur.
— Vous péchez souvent ici ?
— Plus ou moins depuis vingt-deux ans.
— Pourriez-vous me dire à quel endroit du lac vous perdez le plus de bas de ligne ?
— Je vous demande pardon ?
— Y a-t-il un endroit de ce lac où les pêcheurs perdent le plus souvent leurs montures ?
— Là-bas, près de la digue, il y a un arbre submergé qui leur en prend un maximum.
— A quelle profondeur ?
— Deux à trois mètres.
— C’est un endroit beaucoup plus profond qui m’intéresse, explique Pitt.
Le vieux pêcheur réfléchit un instant.
— Au nord du lac, il y a un fameux trou au pied d’un grand marécage. J’y ai laissé deux de mes meilleures cuillères en traînant trop profond l’été dernier. Les gros nagent bas pendant les chaleurs. Mais je ne vous conseille pas d’essayer votre chance là-bas. A moins que vous n’ayez des intérêts dans une boutique d’attirail de pêche.
— Merci beaucoup pour le renseignement, dit Pitt avec un geste d’adieu. Bonne chance !
— Bonne chance à vous aussi, dit le vieux en se remettant à lancer et en répondant presque aussitôt à une forte touche.
— Tu as entendu. Al ? demande Pitt.
Giordino regarde avec envie du côté du débarcadère, puis vers le nord du lac, à plus de 400 mètres. Enfin, se résignant à la tâche, il relève la caméra pour éviter qu’elle ne racle le fond, met ses gants et prend les avirons. Steiger adresse à Pitt un regard à cinq lettres, puis il obéit, lui aussi.
Une bonne demi-heure de bataille contre un fort vent de côté s’écoule avec une désespérante lenteur. Steiger et Giordino poursuivent leur effort en silence, Giordino parce qu’il a une foi aveugle dans les idées de Pitt, Steiger parce qu’il crèverait plutôt que de renoncer à ramer avant Giordino. Pitt reste soudé à l’écran, lançant de temps à autre à Giordino une indication de profondeur.
Le fond du lac s’élève à mesure qu’ils s’approchent du marécage. Puis, brusquement, la vase et les herbes commencent à s’enfoncer et l’eau devient plus sombre. Ils s’arrêtent pour descendre la caméra et se reprennent à ramer.
Ils n’ont guère couvert que quelques mètres lorsqu’un objet courbe apparaît sur l’écran. Sa forme n’est pas clairement visible et la chose n’a pas un aspect naturel.
— Arrêtez ! crie Pitt.
Steiger se courbe, heureux de cette pause, mais Giordino regarde intensément : il connaît ce ton de voix.
Au fond, dans la profondeur glacée, la caméra s’approche lentement de la chose reproduite sur l’écran. Pitt reste comme pétrifié : une énorme étoile blanche sur fond sombre se précise peu à peu. Il attend que la caméra ait terminé son approche, la bouche sèche comme le sable du Kansas.
Giordino s’est rapproché et retient les deux canots bord à bord. Steiger se rend compte tout à coup de la tension, lève la tête, et regarde Pitt.
— Vous avez trouvé quelque chose ? demande-t-il.
— Un avion avec un matricule militaire, dit Pitt en retenant l’excitation qu’il ressent.
Steiger rampe vers l’arrière et, médusé, regarde l’écran. La caméra a longé l’aile et descend maintenant sur le côté du fuselage. Un hublot carré se présente et l’on peut lire au-dessus les mots : « Military Air Transport Service ».
— Doux Jésus ! s’exclame Giordino. Un avion de transport du M.A.T.S. !
— Pouvez-vous dire de quel modèle ? demande fiévreusement Steiger.
— Pas encore, répond Pitt en secouant la tête. La caméra a manqué les parties les plus facilement identifiables, les moteurs et le nez de l’appareil. Elle est passée au-dessus de l’aile gauche et, comme vous pouvez le voir, elle va vers la queue.
— Le numéro de série doit être peint sur l’empennage, dit doucement Steiger, avec l’accent de la prière.
Ils restent immobiles pendant que le tableau transmis du fond de l’eau se précise. L’avion s’est enfoncé profondément dans la vase. Dans le choc, le fuselage s’est cassé en deux derrière les ailes, la queue légèrement déportée.
Giordino manœuvre doucement ses avirons et donne à la caméra un nouvel angle de vue. L’image est maintenant si précise qu’ils distinguent presque les rivets sur les flancs d’aluminium. Le spectacle est étrange et déconcertant. Il leur est difficile de croire l’image que l’appareil de télévision leur met sous les yeux.
Ils retiennent leur respiration lorsque le numéro matricule peint sur l’empennage se présente par le côté droit de l’écran. Pitt rapproche la lentille de la caméra de façon qu’il ne puisse y avoir d’erreur sur l’identification de l’appareil. On distingue d’abord un 7, puis un 5 et un 4, suivis de 03. Steiger fixe Pitt pendant un moment ; l’effet de ce qu’il sait maintenant être vrai, mais qu’il est encore incapable d’accepter, donne à son regard la fixité de celui d’un somnambule.
— Mon Dieu, c’est le 03. Voyons, c’est impossible.
— Vos yeux ne vous trompent pas, dit Pitt.
Giordino lui serre la main.
— Je n’en avais jamais douté, mon vieux.
— Je tiendrai compte de ta confiance en moi.
— Et maintenant qu’allons-nous faire ?
— Tu vas poser une bouée de repère et la journée est terminée. Demain, nous plongerons et nous verrons ce qu’il y a à l’intérieur de l’épave.
Steiger ne peut que secouer la tête et répéter :
— Il ne devrait pas se trouver là… il ne devrait pas être là.
— Il est clair que notre bon colonel refuse d’en croire ses propres yeux, dit Pitt en souriant.
— Ce n’est pas ça, lui dit Giordino. Steiger a un problème psychologique.
— Un problème ?
— Mais oui : il ne croit pas au Père Noël.
En dépit du froid matinal, Pitt transpire dans sa combinaison de plongée. Il vérifie son appareil respiratoire, fait à Giordino un signe du pouce levé et plonge par-dessus bord.
L’eau glaciale qui pénètre entre sa peau et la doublure de son vêtement de néoprène, lui fait l’effet d’un électrochoc. Il demeure quelques instants juste au-dessous de la surface, poignardé par la souffrance, il attend que son corps ait réchauffé la couche d’eau captive de la combinaison. Lorsque la température est devenue supportable, il souffle pour se déboucher les oreilles, agite ses palmes pour descendre dans l’étrange milieu où l’air et le vent sont inconnus. Le câble de la bouée de repère s’enfonce dans la profondeur attirante, et il le suit.
Le fond semble venir à sa rencontre. Avant qu’il ne se redresse, sa palme droite s’enfonce dans la vase et soulève un nuage gris qui s’épanouit comme le champignon de fumée de l’explosion d’un réservoir de pétrole.
Pitt vérifie le cadran de plongée fixé à son poignet. Il indique 45 mètres. Cela lui donne environ dix minutes de séjour au fond sans avoir à se préoccuper de la décompression.
Son ennemi principal est la température de l’eau. La pression glaciale affectera gravement ses facultés de concentration et sa performance. La chaleur de son corps sera vite épuisée par le froid qui éprouvera son endurance jusqu’à ses dernières limites, jusqu’à la zone de fatigue excessive.
Il n’a guère que de deux à trois mètres de visibilité, mais cela ne l’arrête pas. La ligne de la bouée n’est qu’à une coudée de l’avion immergé et il n’a qu’à tendre la main pour toucher la surface de métal. Pitt s’était demandé quel sentiment il éprouverait à cet instant-là. Il était sûr que l’appréhension et la peur l’étoufferaient dans leurs tentacules. Tout au contraire, il éprouve une étrange sensation de victoire. C’est un peu comme s’il touchait au terme d’un long voyage épuisant.
Il nage au-dessus des moteurs ; les pales des hélices sont artistiquement pliées en arrière, comme des pétales d’un iris ; les ailettes des cylindres ne sentiront plus jamais la chaleur de la combustion. Il passe devant les hublots du cockpit. Les panneaux vitrés sont toujours intacts, mais ils sont couverts de vase et l’on ne peut rien voir à l’intérieur.
Pitt constate qu’il a déjà utilisé près de deux minutes de son temps de plongée. Il nage vivement vers les brèches du fuselage, se glisse à l’intérieur et allume sa torche électrique.
Les premières choses qu’il aperçoit dans l’obscurité sont de gros cylindres de métal argenté. Leurs attaches ont cédé au moment de l’accident et ils sont épars sur le plancher de la soute. Prudemment, il se glisse entre eux et se faufile par la porte de la cabine de pilotage.
Quatre squelettes sont assis sur leurs sièges respectifs, retenus dans leur macabre posture par leur ceinture de nylon. Les phalanges du navigateur sont toujours crispées ; devant le tableau, le squelette du mécanicien est penché en arrière, le crâne incliné malicieusement sur l’épaule.
Pitt s’avance, la révulsion et la peur lui serrent la poitrine. Les bulles de son appareil respiratoire jaillissent en spirale au-dessus de sa tête et se rassemblent dans un coin du plafond du cockpit. Ce qui donne à la scène un aspect particulièrement sinistre, c’est que, bien que la chair des squelettes ait disparu, leurs uniformes sont intacts. L’eau glaciale a fait obstacle au processus de putréfaction et l’équipage est resté aussi réglementairement en uniforme qu’à l’instant où la mort l’a saisi.
Le copilote est raide, tout droit, les mâchoires béantes comme dans un hurlement fantomatique. Le pilote est incliné en avant, sa tête touche presque le tableau de bord. Une petite plaque métallique sort de sa poche de poitrine ; Pitt la saisit avec précaution et la glisse dans une manche de son costume de plongée. Une enveloppe de vinyle pend dans une poche du siège du pilote, Pitt la prend également.
Un coup d’œil à sa montre lui apprend que l’heure est venue. Il n’attend pas de recevoir une invitation gravée sur vélin pour remonter vers la surface et les chauds rayons du soleil. Le froid commence à lui glacer le sang et à l’étourdir, il est prêt à jurer que les squelettes se sont retournés et fixent sur lui les orbites vides de leur crâne.
Il sort rapidement du cockpit et se détourne dès que l’espace dans la soute le lui permet. C’est alors qu’il aperçoit les restes d’un pied derrière l’un des cylindres argentés. Le corps auquel appartient ce pied est retenu par des bandes aux anneaux d’attache de plusieurs cylindres. Mais, à l’inverse de ce qui est pour les membres de l’équipage, on trouve encore de la chair sur les os de ce cadavre-là.
Pitt réprime la nausée qui lui remonte à la gorge pour examiner plus attentivement celui qui fut jadis un être vivant. L’uniforme n’a pas la teinte bleue de celui de l’Armée de l’air, mais celle kaki de l’Armée de terre. Il fouille les poches, mais elles sont vides.
Une sonnerie d’alarme se met à tinter dans sa tête. Ses bras et ses jambes commencent à devenir insensibles et se crispent dans le froid implacable, et il se sent comme plongé dans du sirop. S’il ne peut pas retrouver un peu de chaleur avant longtemps, l’avion fracassé fera une victime de plus. Son esprit s’embrume et, pendant un court instant, l’aiguillon de la panique le harcèle lorsqu’il constate qu’il a l’esprit confus et qu’il a perdu le sens de l’orientation. Puis il repère enfin les bulles d’air de sa respiration qui sortent du fuselage et montent à la surface.
Avec un énorme soulagement, il abandonne le dernier squelette et suit les bulles en pleine eau. A trois mètres de la surface, il peut apercevoir le fond du bateau qui tremble dans la lumière réfractée comme quelque image d’un film surréaliste. Il peut même apercevoir la tête apparemment décollée de Giordino qui scrute la surface de l’eau.
Il lui reste à peine assez de force pour tendre le bras et saisir un aviron. A deux, Giordino et Steiger le hissent à bord aussi aisément que s’il était un enfant.
— Aidez-moi à lui retirer sa combinaison, demande Giordino.
— Seigneur, il est déjà bleu.
— Cinq minutes de plus et il aurait été victime de l’hypothermie.
— L’hypothermie ? fait Steiger en tirant sur la combinaison de Pitt.
— Perte critique de la chaleur du corps, explique Giordino. J’ai vu des plongeurs en mourir.
— Je ne suis pas… je répète… je ne suis pas encore prêt pour le marbre du médecin légiste, parvient à prononcer Pitt en claquant des dents.
Dès qu’ils l’ont débarrassé de sa combinaison, Steiger et Giordino étrillent rudement Pitt avec des serviettes, puis ils l’enveloppent dans des couvertures. Ses membres retrouvent lentement leur sensibilité. Le chaud soleil pénètre ses muscles et il se sent de nouveau bien dans sa peau. Il boit du café au thermos pour la sensation plus psychologique que réelle de réconfort qu’il lui procure.
— Tu es idiot ou quoi ? s’exclame Giordino avec une feinte colère qui dissimule son inquiétude. Tu as failli te tuer en restant si longtemps au fond. L’eau doit y être près du point de congélation.
— Qu’avez-vous trouvé en bas ? interroge Steiger, anxieux.
Pitt se redresse, chasse les derniers pans de brouillard de son esprit.
— Un dossier. J’avais un dossier.
— Il n’est pas perdu, dit Giordino en le montrant. Tu le serrais comme avec un étau dans ta main gauche.
— Et une petite plaque de métal ?
— Je l’ai ramassée, dit Steiger. Elle est tombée de votre manche.
Pitt s’adosse au bordage du canot et avale une nouvelle gorgée de café bouillant.
— La soute de l’appareil est pleine de gros réservoirs de métal, d’acier inoxydable, à en juger par leur résistance à la corrosion. Pour leur contenu, vous en savez autant que moi. Ils ne portent aucune marque.
— Quelle forme ont-ils ? demande Giordino.
— Cylindrique.
— Je me demande bien quelle sorte de matériel militaire peut exiger la protection d’étuis de métal inoxydable, dit Steiger d’un air songeur ; puis son esprit passe à un autre aspect de l’énigme et il jette à Pitt un regard perçant. Et l’équipage ? Avez-vous trouvé trace de l’équipage ?
— Ce qu’il en reste est encore retenu aux sièges par ses ceintures de sécurité.
Giordino décolle soigneusement un coin de l’enveloppe du dossier.
— Il est possible qu’on puisse encore lire les papiers. J’essaierai de les décoller un par un et de les sécher au chalet.
— C’est probablement le plan de vol, dit Steiger. Quelques-uns des vieux pilotes de l’Armée de l’air préfèrent toujours emporter leurs documents dans ces enveloppes de vinyle plutôt que dans les poches plastiques actuelles.
— Peut-être cela nous apprendra-t-il ce que faisait cet équipage si loin de sa route.
— Personnellement, je l’espère, dit Steiger. Je voudrais avoir tous les faits et la solution du mystère bien empaquetés avec une faveur avant de les déposer sur un certain bureau, à Washington.
— Euh… Steiger ?
Le colonel interroge Pitt du regard.
— Je serais navré de flanquer par terre vos chères prévisions, mais je dois vous dire qu’il y a plus que ce qui apparaît à première vue dans le mystère du Vixen 03… beaucoup plus.
— Nous avons retrouvé les restes de l’appareil, n’est-il pas vrai ? fait Steiger en essayant de garder son calme – on ne peut pas lui refuser un instant de triomphe. La solution se trouve là, à quelques mètres de profondeur. Il ne s’agit plus que de repêcher les débris. Que peut-il y avoir d’autre ?
— Un dilemme plutôt déplaisant sur lequel nous ne comptions pas.
— Quel dilemme ?
— Je crains fort, dit calmement Pitt, que nous ayons en prime un assassinat sur les bras.